vendredi 1 mai 2015

Collages de tout et de rien 01 : Corps, esprit et autres catégorisations (binaires et non-binaires)



Collages de tout et de rien 01 : Corps, esprit et autres catégorisations (binaires et non-binaires)
01/04/2015
La relation des concepts opposés ( ?) « corps-esprit » est toujours courante de nos jours alors que les progrès scientifiques devraient bannir une telle approche catégorique. La médecine travaille encore pour beaucoup dans une optique « corps », sachant cependant que certaines de ses branches ont une approche psychosomatique (neurophysiologie par essence). Il est vrai qu’il est difficile d’associer l’esprit à la guérison d’une rotule cassée. D’un autre côté, une dépression liée à un déséquilibre de substances physiologiques cérébrales renvoie directement à une forte interaction entre corps et esprit. Cet exemple montre que les discussions autour du déterminisme neurobiologique des phénomènes mentaux ne font vraiment que commencer et divisent toujours la communauté scientifique, surtout au niveau des débats sur le phénomène de la conscience et donc aussi sur les limites de l’introspection des états mentaux. Or, peut-il y avoir une conscience s’il n’y a pas de corps ? Ceci est un petit voyage d’exploration en zigzag non structuré, se déroulant au gré des questionnements, recherches personnelles et développements subséquents du moment. En effet, tout homme se pose à certains moments de sa vie des questions sur l’articulation corps-esprit, même si les chrétiens continuent à croire que l’âme est immortelle alors que le corps se décompose après la mort dans ses éléments chimiques. Est-ce qu’il ne faut pas s’interroger plutôt sur les intersections/interactions entre le corps et ce que nous appelons esprit ?

L’opposition corps-esprit, utilisée à maintes occasions, montre en fait la faiblesse de ce procédé dichotomique si on généralise ce dernier. Ainsi, beaucoup de branches / spécialisations de la médecine (chirurgie cardio-vasculaire par exemple) ne s’occupent pas de l’esprit alors que le corps humain est considéré cependant comme un tout. Pendant une opération majeure, on endort le patient (processus purement physiologique) en neutralisant complètement son esprit éveillé pendant un certain temps. Un changement physiologique a donc induit un changement mental, une altération certes pas définitive, mais diminuant dans certains cas et dans une certaine mesure l’homme qui a subi une anesthésie. Mais l’homme ne récupère pas toujours automatiquement tous « ses esprits » après une anesthésie et il y en a qui mettent des mois à se sentir comme avant l’anesthésie.
 


Mais cette opposition binaire courante n’est qu’un exemple parmi d’autres concernant cette manière de raisonner. Ce couple « antagoniste corps-esprit »fait allusion à une démarche intellectuelle/mentale plus générale, à savoir le raisonnement par binarisme, avec tous les avantages et désavantages que ce processus peut entraîner. Les sciences cognitives, ayant pris un essor important depuis un certain temps, sont évidemment touchées par cette problématique.

La catégorisation binaire [binaire : composé de 2 unités ; qui comporte deux états, et seulement deux, définis et distincts, exclusifs l’un de l’autre] est omniprésente aussi bien dans la vie quotidienne que dans les sciences (humaines et autres). On peut par exemple considérer les binarités (caractère de ce qui est binaire) suivantes : corps - esprit, homme – animal, vie – mort, nature - culture, noir - blanc, autochtone – étranger, particule positive - particule négative, homme - femme, thèse - antithèse, ami -  ennemi, juste – injuste, vrai - faux,  et bien d’autres encore. Selon le Grand Robert, le binarisme consiste dans le « procédé d’analyse par lequel on réduit, dans un énoncé, les rapports entre les unités à des rapports à deux termes.

Pourquoi l’homme a-t-il conçu ces catégorisations binaires aussi « catégoriques » (dans le sens : ce qui ne permet aucun doute, ne souffre ni discussion ni objection). Quelle est l’origine de ce mécanisme de création ? Est-ce que l’homme a été incapable de voir, lors de cette démarche de conceptualisation, les nuances sous-jacentes à ces catégorisations réduites ? Ou est-ce que le binarisme est dans une certaine mesure un « tour mental » privilégié, en étant même en quelque sorte contre nature par rapport aux connaissances actuelles ? Est-ce que cette manière de voir comporte éventuellement des conséquences, parfois très graves par leurs portées ? Rendons attentif que le substantif « catégorie » est à la base de considérations plus générales (Grand Robert : qualité qu’on peut attribuer à un sujet ; classes à l’intérieur desquelles sont placés, selon des critères sémantiques ou grammaticaux, les éléments d’un vocabulaire ; en math., théorie qui généralise la théorie des ensembles). En effet, une catégorie/ensemble peut être définie par plus d’une variable, chaque variable pouvant prendre de 1 à n valeurs. Dans ce sens, les notions de « catégorique » et « catégoriquement » sont en quelque sorte une « perversion ». On devrait plutôt utiliser la notion de « catégoriel » pour renvoyer au sens premier du terme, notion cependant peu utilisée dans le langage commun. La dérive de « catégoriel » vers « catégorique » ne serait-elle pas plutôt une dérive réductionniste du fonctionnement de l’esprit humain, ayant peut-être ses origines dans les premiers stades de l’évolution de l’homme et peut-être programmée physiologiquement (cerveau reptilien ?) pour des raisons d’efficacité de survie mais aussi des raisons de non-connaissance scientifique ? Rappelons que la mémoire de travail de l’homme ne peut contenir que quelques éléments à la fois.
Ainsi, le couple homme-femme était pendant longtemps un lieu commun datant des premiers temps (voir par exemple la bible), quasi inattaquable. Si on voit les dégâts humains que cette dichotomie fait dans certaines cultures (talibans par exemple), on ne peut pas délaisser de faire des considérations sur cette approche. Or, avec l’évolution des sciences, dont notamment la génétique, la biologie moléculaire et les discussions psycho-socio-philosophiques sur le genre (« gender »), ce binarisme « sexuel » n’est plus une chose allant de soi (voir développements plus loin).

D’une manière générale, on risque d’oublier parfois que des concepts opposés ne correspondent pas nécessairement à la réalité, même s’il n’est pas exclu que des binarités pures peuvent exister ( par exemple pair et impair pour les nombres entiers, zéro étant un nombre pair), n’admettant par nature que 2 états. Un objet tel que le nombre entier peut donc avoir seulement deux états différents pour la qualité « parité - imparité » : un nombre entier pair peut être divisé par deux, le résultat étant un nombre entier. Si tel n’est pas le cas pour un nombre, il est impair (ou n’est pas un nombre entier). Ce qui est intéressant dans cet exemple, c’est que le résultat d’un processus produit un binarisme qualitatif. Sans ce processus mental (division par deux), ce binarisme ne pourrait être constaté au niveau d’un nombre entier qui est lui-même une instance virtuelle / fiction : qui peut se targuer d’avoir touché avec le doigt le nombre « un » ? La notion de nombre pair ou impair n’est pas inscrite en tant que telle dans la nature.

Un autre exemple courant est l’expression « Noir ou blanc ». D’abord, tout n’est pas noir ou blanc car il existe aussi un continuum de gris. Ainsi, les petits scanners domestiques demandent de faire le choix du type de fichier d’impression : couleur, niveaux de gris, noir et blanc. Les peintres, travaillant sur base de mélange de couleurs, savent qu’il n’y a pas qu’une seule couleur noire ou blanche, montrant encore par-là que dans la pratique un processus physique « pur » ne peut être transposé dans son entièreté dans la réalisation physique. Allez acheter vos pots de peinture dans un magasin et vous vous rendez compte qu’il faut choisir entre plusieurs blancs ou noirs.



  •  Si mes souvenirs en physique restent tant soit peu valables, la couleur noir est en principe, dans une première approche simpliste, une absence de couleur(s), l'œil ne recevant pas de rayonnement visible. Si le peintre veut utiliser de la peinture noire, il ne peut cependant ne pas mettre aucune couleur sur son tableau. Comme le noir est un champ chromatique regroupant les teintes les plus obscures, on peut fabriquer de la peinture noire à partir des couleurs complémentaires sachant que dans cette gamme de couleurs, on va quand même prendre les plus sombres.
  • Dans la synthèse additive (superposition de faisceaux lumineux), la couleur blanche est un mélange de couleurs (en synthèse additive des couleurs, le blanc s'obtient par un mélange équilibré des trois couleurs primaires). Le point blanc est considéré comme l’étalon colorimétrique. Dans le domaine des beaux-arts, le blanc est obtenu par des minéraux de synthèse : blanc de zinc, blanc de lithopone, blanc de titane (Dioxyde de titane), blanc de Meudon, blanc d'argent (céruse, toxique) et autres.
Couleurs primaires, secondaires et complémentaires :




La définition d’une couleur constatée, soit par la vision humaine, soit par un processus de mesure physique (l’analyse spectrale du rayonnement électromagnétique), ne peut aboutir à un binarisme (noir ou blanc par exemple). Comme il y a une infinité de ces longueurs d’ondes, il y a une infinité de couleurs, chacune étant constituée par un rayonnement monochromatique. Je ne peux même pas construire un binarisme avec les 3 couleurs primaires de base (je peux construire cependant un binarisme qualitatif abstrait : couleur primaire – couleur non primaire) : (Wikipédia) Une couleur primaire est une couleur utilisée comme base dans un système de synthèse de couleurs, qu'on ne peut pas reproduire par un mélange d'autres couleurs. Trois couleurs (rouge, jaune ,bleu) sont dites primaires entre elles si aucune des trois ne peut être reproduite par un mélange des deux autres. Le qualificatif « primaire » est à rapprocher (par analogie) de « premier » dans l’expression nombre premier. De la même façon que deux nombres sont premiers entre eux si ils n'ont aucun diviseur entier commun supérieur à 1, trois couleurs sont primaires entre elles si aucune des trois ne peut être reproduite par un mélange des deux autres. Toutes les couleurs produites par des lumières monochromatiques sont primaires entre elles. …..
Le noir est un champ chromatique regroupant les teintes les plus obscures. Les objets noirs n'émettent ou ne reflètent qu'une part négligeable du spectre de la lumière visible. Le noir s'oppose ainsi à toutes les couleurs ; mais surtout au blanc, la plus claire de toutes les couleurs. Le blanc est un champ chromatique caractérisé par une impression de forte luminosité, sans aucune teinte dominante. Le blanc s'obtient en mélangeant les trois couleurs primaires.
La couleur noir et blanche  ont en commun de ne pas avoir de longueur d'onde monochromatique dominante.



Alors pourquoi l’opposition noir et blanc a-t-elle eu une telle importance dans le langage courant ? Peut-être faut-il la chercher dans les significations attribuées à ces 2 couleurs ?
(Wikipédia) « Signification du noir

Tout comme le blanc, le noir n'est pas au sens strict du terme une couleur, cependant on l'y associe d'un point de vue psychologique, le noir véhiculant tout comme une couleur une symbolique. Scientifiquement, le noir renvoie aux trous noirs et au néant. En optique, le noir absorbe toutes les longueurs d'onde et se caractérise donc par son absence apparente de couleur, à l'inverse du blanc qui s'obtient en renvoyant toutes les longueurs d'onde qu'il absorbe à parts égales. En Occident, le noir est associé au deuil, à la tristesse et au désespoir, à la peur et à la mort (par contre, pour les chinois, le blanc est la couleur de la mort). Représenté par les tenues des prêtres et des religieuses, il fait également échos à l'autorité, à l'austérité et à la rigueur. Derrière ce côté sombre, le noir offre également un autre visage, associé à l'élégance et à la simplicité. Peut-être à juste titre, car le noir se veut, dans un second temps une couleur neutre, qui n'exprime pas à proprement parler de sentiments passionnés. Il est vrai que le noir est la couleur sombre par excellence. Il se marie avec quasiment toutes les couleurs, et ne choquera que très peu, même lorsqu'il est employé à outrance. Comme avec le blanc, il faut cependant éviter de l'employer trop souvent seul. Le noir peut vite faire écho au vide et à la tristesse. Il est recommandé de toujours l'accompagner d'une couleur chaude ou d'une couleur 
pâle pour rehausser son style.
  • Signification positive : élégance, simplicité, sobriété, rigueur, mystère
  • Signification négative : mort, deuil, tristesse, vide, obscurité
  • Représentation : ténèbres (nuit), certains animaux (merle, corbeau, chats)
Signification du blanc
Bien que le blanc n'est pas à proprement parler une couleur, le grand public le classe dans cette catégorie. Peut-être justement, car le blanc est d'un point de vue optique la synthèse chromatique de toutes les longueurs d'onde visibles (couleurs). Ce qui explique sans doute le sens qu'on lui accorde en Occident : celui de l'unité, de l'équilibre parfait. Depuis des générations, le blanc est lié au mariage, à la pureté, à la virginité et quelque part à la perfection et au divin (vêtement papal). On trouve très peu de blancs " naturels " dans la nature. Le blanc se prête à merveille à tous les contextes : il se marie à la perfection avec toutes les couleurs, et il est difficile de s'en lasser. Il faut cependant éviter de trop en user, en graphisme, il peut se révéler " vide " et fade lorsqu'il est trop présent. On le préfère donc accompagné d'autres couleurs ; d'ailleurs, il n'y a aucune restriction le concernant il est assorti à toute la palette chromatique



  • Signification positive : pureté, innocence, virginité, mariage
  • Signification négative : aucune
  • Représentation : neige, lumière, lait, robe de marié »

Ces 2 exemples (nombre et parité, noir et blanc pour la couleur) rendent attentif à un aspect particulier :


  • Le binarisme « parité-imparité » du nombre est le résultat d’une construction abstraite de l’esprit.
  • La définition de la couleur est un phénomène du monde physique, l’opposition noir et blanc étant, dans une certaine mesure, un artifice 
 
Est-ce que le monde naturel peut contenir des binarismes « purs » ou est-ce que le binarisme peut seulement exister à cause d’une abstraction mentale réductionniste ?


Un autre exemple imaginé, plutôt loufoque, est le binarisme « le moi – le reste du monde sans moi ». Le « moi » pourrait être défini comme un corps doté d’un esprit emprisonné dans un support corporel se baladant dans un espace-temps se trouvant en-dehors du moi, c’est-à-dire le reste du monde par rapport à ce « moi » (en paraphrasant Heidegger : une « instance » jetée dans le reste du monde). La définition/composition du moi sous ces termes posera certainement des problèmes, mais il constitue une réalité dans le monde physique: si je me balade à Paris, c’est mon corps qui se balada à Paris (et pas le corps d’un autre si je suis le point de repère) avec mes sensations et en produisant pendant la balade mes processus mentaux. Le « moi » dans son entièreté est en quelque sorte une construction mentale basée sur une entité physique (le corps avec des processus mentaux, ces derniers étant le résultat de processus neurophysiologiques) de même que «  le reste du monde » qui est une construction mentale pouvant s’inspirer par exemple de la théorie des ensembles en mathématiques (l’ensemble A = moi et son complémentaire est tout ce qui n’est pas le « moi ») ou de la théorie des systèmes (le « moi » est un système » baignant dans son environnement qui est le reste du monde avec lequel il est en interaction). Mon « moi » (mon corps avec tout ce qui se passe à son intérieur) est une instance réelle agissant dans son environnement (tout ce qui est autour de moi). Mais ce reste du monde (après y avoir soustrait mon entité « corps-esprit »), c’est quoi : mon environnement immédiat ou la terre entière ou l’univers en expansion ? Ce qui m’intéresse vraiment dans une première approche immédiate, c’est mon « reste-du-monde » immédiat. Tout ce qui dépasse cet environnement immédiat, encore visible, résulte de nouveau d’un processus mental d’abstraction : si je ne fais pas attention, je peux me heurter la tête contre un arbre (la douleur est réelle), mais je ne peux heurter ma tête contre l’univers en expansion. Cet exemple clopine cependant un peu car le « moi » peut aussi être considéré dans ce cas comme un élément du système « mon environnement  = reste du monde ou tout l’univers tout court». Au lieu de raisonner en termes de complémentarité (au sens des maths modernes), on se trouverait sur un niveau d’inclusion et mon « moi » fait partie du reste du monde. En effet, je ne peux exister s’il n’y a pas mon environnement = reste du monde en termes de complémentarité. Le reste du monde serait en effet ce qui reste si on enlève mon « moi ». D’ailleurs, à ma mort, il ne restera plus de « moi », surtout si mon corps s’est décomposé finalement et entièrement dans ces éléments chimiques. Mais le « reste du monde » antérieure à ma mort continue d’exister. À vrai dire, inclusion et complémentarité ne s’excluent pas. Si je suis un élément d’un système, je peux toujours définir les reste du monde en faisant abstraction de mon « moi » pour définir tout ce qui n’est pas « moi ». Les relations entre complémentarité et inclusion seraient intéressantes à analyser plus en profondeur.

Si j’étends mon environnement à la terre entière, je peux le faire dans un but de préservation de mon moi dans un contexte de développement durable dans un souci d’éviter la destruction anthropocène de la terre [qui prend des proportions gigantesques, incontrôlables et (peut-être déjà ?) à un point du non-retour]: catastrophe écologique mondiale faisant basculer l’équilibre terrestre actuel. Mais cette approche est un artifice mental (sauf peut-être pour le chinois suffoquant dans sa métropole hyper-polluée). Si j’étends mon environnement au système solaire (disparition de la terre parce que notre bon vieux soleil, fournisseur de l’énergie nécessaire à la terre dans son état actuel, va mourir faute de carburant interne), c’est encore une abstraction basée sur des connaissances scientifiques actuelles avec des hypothèses d’évolution ayant leurs limites dans la théorie du « cygne noir ». (Wikipédia : La théorie du cygne noir, développée par le philosophe Nassim Nicholas Taleb, est une théorie dans laquelle on appelle cygne noir un certain événement imprévisible qui a une faible probabilité de se dérouler (appelé « événement rare » en théorie des probabilités), et qui, s'il se réalise, a des conséquences d'une portée considérable et exceptionnelle. Un cygne noir est l'illustration d'un biais cognitif. Si on ne croise et n'observe que des cygnes blancs, on aura vite fait de déduire par erreur que tous les cygnes sont blancs. C'est ce qu'ont longtemps cru les Européens avant de faire la découverte de l'existence des cygnes noirs en Australie. En réalité, seule l'observation de tous les cygnes existants pourrait nous donner la confirmation que ceux-ci sont bien toujours blancs. Cependant, prendre le temps et les moyens d'observer tous les cygnes de la Terre avant de confirmer qu'ils sont tous blancs n'est pas envisageable. Il paraît préférable de faire la supposition hâtive qu'ils sont blancs, dans l'attente de voir la théorie infirmée par l'observation d'un cygne d'une autre couleur.) Par ailleurs, on a observé à Chypre un flamant noir au milieu de ses congénères roses. Ainsi construisons-nous des raisonnements à partir d'informations incomplètes, ce qui nous conduit à aboutir à des conclusions erronées.

Ces exemples suscitent un questionnement :



  • Quelle est la nature de l’instance qui associe 2 états pour en faire un binarisme ?
  • Est-ce que le binarisme fait encore du sens dans notre contexte actuel ?
  • Est-ce que l’usage du binarisme est une opération dangereuse dans un monde devenu très complexe ?
Il y a des situations où la binarité semble aller de soi, mais on oublie parfois qu’une situation particulière peut annihiler cet état : ainsi, si on parle de particules chargés positivement ou négativement, on risque d’oublier qu’il y a aussi des particules neutres = neutrons. Voir une citation possible parmi d’autres sur l’origine possible du neutron : « Le neutron, compagnon neutre du proton ….. : Le neutron est avec le proton un des deux constituants du noyau de l'atome. Le rôle des neutrons et des protons à l'intérieur des noyaux est si symétrique que les physiciens ont l'habitude de les considérer comme deux états d'une même particule, le nucléon. On peut dire du neutron que c'est un proton qui a perdu sa charge électrique. L'absence de charge électrique a d'importantes conséquences. …. » Une autre définition rend attentif aux éléments constituants du neutron et on retrouve de nouveau un binarisme : « Le neutron est une particule sans charge électrique (neutre), composé d’un quark up et d’un quark down, qui constitue le noyau atomique avec le ou les protons ». Mais le quark n’est pas neutre non plus : « le quark possède une charge électrique fractionnelle +2/3 et une masse de 1,5 à 4 MeV ». Ainsi, il se peut que l’état neutre ne soit pas d’origine, mais le résultat d’un processus, comme le montre l’exemple ci-après un énoncé au niveau de l’astrophysique : « Lorsqu'une étoile de plus de 10 masses solaires touche à sa fin, elle finit sa vie en une formidable explosion appelée supernova. Les gaz externes qui composent l'étoile sont éparpillés dans l'espace mais le noyau résiduel de l'explosion va continuer à s’effondrer sur lui-même sous l'effet de la gravitation. Lorsque le noyau fait entre 1,4 et 5,8 fois la masse du Soleil (limite de Chandrasekhar), il s'effondrera jusqu'à former une étoile à neutrons. Lors de cet effondrement, les électrons sont incapables de poursuivre leur orbite autour du proton. Les protons et les électrons vont donc fusionner pour engendrer des neutrons. Les neutrons arrivent à résister au confinement et l'étoile va finir par atteindre son équilibre. » (Wikipédia). Ce qui est intéressant dans cet exemple de l’astrophysique est le fait que le neutron est finalement le résultat d’un processus qui (ré) équilibre dans certaines conditions un état instable binaire sous une autre forme non-binaire

Suite à cet exemple, on peut aussi émettre l’hypothèse qu’un binarisme est seulement la pointe visible de l’iceberg et, si on creuse, ce binarisme disparaît pour montrer une réalité beaucoup plus complexe.

Le binarisme est donc la catégorie qui est caractérisée par la propriété suivante : elle comporte à la base, d’une manière générale, des unités dont chacune ne peut prendre seulement un de deux états possibles, ces derniers s’excluant mutuellement. Une unité/instance ne peut être affublée en même temps par les 2 états.

On peut donc dire à ce stade des réflexions que les éléments d’un binarisme sont très souvent des composés d’éléments, que le binarisme est un jeu d’esprit commode, parfois abusif, ne reflétant pas nécessairement la réalité dans son entièreté et que l’usage de ce réductionnisme peut avoir des conséquences plus ou moins graves.

Raisonner en termes de binarisme est peut-être un processus reflétant un besoin de simplification de la réflexion humaine, en quelque sorte une fainéantise de l’esprit qui dispense ce dernier de creuser un contenu, peut-être trop complexe ou tout simplement dérangeant. Rappelons que la mémoire de travail de l’homme ne peut traiter que quelques éléments informationnels.

Ces quelques questionnements introductifs laissent entrevoir peut-être la nécessité suivante : si on s’attrape à raisonner par des termes binaires, soit par fainéantise ou par un besoin de quiétude de l’esprit (un monde ordonné, simple), ne faudrait-il pas mettre en œuvre un réflexe auquel on s’est entraîné et consistant à dire « halte : ce n’est pas aussi simple, creuse », surtout si on se rend compte que le binarisme appliqué est une construction de l’esprit. Par exemple, si on raisonne en termes de « vrai-faux », qui est une abstraction réductionniste, ne faudrait-il pas se demander dans une premier réflexe : vrai ou faux par rapport à quoi ? Mais cela risque de devenir une discipline d’enfer dont on va se lasser peut-être rapidement car demandant trop d’efforts. Et on va se dire finalement : à quoi cela sert-il d’être plus nuancé, quelle est la plus-value de cette démarche ?

Pour illustrer cette idée, il suffit de considérer la binarité homme-femme dans certaines sociétés/cultures, actuelles ou passées. Rappelons d’abord que cette binarité n’est pas évidente dans certains cas : où classer, par rapport aux génotypes de base XX (♀) et YX (), les X0 (syndrome Turner, XO n’étant pas  un cognac extraold), les XXX, YO, XXY (syndrome Klinefelter), XXYY, XXXY, XXXXY, XYY ? Ces génotypes influencent certainement les phénotypes et aussi les mentalités des personnes porteuses de ces différents génotypes. Le féminisme a ses origines dans la lutte contre la subordination sociale de la femme à l’homme et il suffit de voir encore de nos jours les excès de cette attitude/croyance dans notre monde. Quelle serait notre monde si les femmes avaient eu depuis toujours une force physique égale à celle de l’homme ? Rappelons encore que le chromosome Y est un avorton en taille par rapport au chromosome X, qu’il dispose de beaucoup moins de gènes actifs que le chromosome X et que son patrimoine génétique continue à s’appauvrir. L’Y humain mesure 1/3 de la taille de l’X et contient environ 10 fois moins de gènes. Certains pensent même qu’il risque de disparaître à long terme. Le macho mâle n’a pas vraiment des raisons génétiques pour croire à sa supériorité.




Étant méchant, on pourrait dire que le mâle humain, à cause de son petit chromosome Y nanti de moins de gènes actifs qu’un autre chromosome (dont l’X), est une être diminué par rapport à la femme. Mais alors que dire des humains dotés d’une configuration chromosomique XXY, XXXY, XYY, etc. ? Est-ce que ces humains auraient des potentialités plus puissantes à cause d’un surplus de chromosomes sexuels. Mais il y a aussi des trisomies (dont celle du couple de chromosome 21 = chromosome génétique) dont on sait qu’elles diminuent les capacités d’un être humain. Dans certaines anciennes cultures, une plus grande puissance divinatoire et/ou divine était attribuée aux personnes à la sexualité ambigüe ou même carrément hermaphrodite : Ometeotl chez les aztèques, Ahsonnuti chez les Navahos, Lan Caihe en Chine, Agdistis chez les Romains, évidemment Hermaphrodite chez les Grecs, Ardhanarishvara chez les hindous, et Adam qui, selon la cabale,  avait une face avant masculine et une face arrière féminine avant d’être divisé verticalement pour créer l’homme et la femme. Selon la bible, la femme a comme origine une côte d’Adam. Donc la cabale, par la scission de l’Adam originaire, a encore dans une certaine mesure préconisé une égalité entre l’homme et la femme tandis que le christianisme, par sa petite histoire que Ève est produite à partir d’une bête petite côte d’Adam, sous-entend dans une certaine mesure l’infériorité de la femme.

Le binarisme sexuel (mâle ou femelle) peut avoir des conséquences pratiques et mêmes politiques. Voyons l’exemple absolument fictif suivant : Certains pensent (voir les nombreuses discussions sur le WEB à ce sujet) que Lady Gaga soit hermaphrodite (ayant par exemple XXY selon le caryotype). Lady Gaga mène une vie en tant que femme. Supposons encore que Lady Gaga soit candidat(e ?) sur une liste pour les élections communales d’une grande ville américaine (pourquoi pas New York). Supposons encore que le système électoral comporte une règle de quotas : au moins 40 % des élu(e)s doivent être des femmes, quelles que soient les compétences de ces dernières en la matière (cela veut dire qu’une femme moins compétente peut faire partie du conseil communal et un homme plus compétent est écarté du conseil par le système des quotas féminins). Si jamais Lady Gaga n’était pas élue sur base du score en la rangeant de manière à ce qu’elle n’aurait pas besoin des quotas féminins pour être élu(e) (en étant par exemple en 3ième position pour 20 sièges), mais qu’elle ne pourrait être élue que sur base des quotas féminins (car se situant dans le rangement des scores après les 20 premiers sièges), est-ce qu’elle pourrait être élue alors qu’elle n’est pas une femme avec une configuration chromosomique XX (car XXY). Est-ce que son chromosome supplémentaire Y lui défendra à jamais d’être élu(e) dans un tel système, n’étant ni XX et ni XY ? Mais compliquons encore les choses. Selon Wikipédia, il se peut qu’un fœtus avec le caryotype XY ait une capacité réduite à répondre aux androgènes (hormones mâles) pour assurer un développement sexuel « normal », ceci pouvant entraîner plusieurs problèmes, incluant la stérilité et plusieurs formes d’états intersexués. Rappelons que tout humain, qu’il soit mâle ou femelle, véhicule toute sa vie des hormones mâles et femelles à des  degrés divers selon sa position dans son cycle de vie. Donc, même un caryotype XY ou XX ne suffit pas à garantir un mâle ou une femelle « pur(e) », notamment dans le contexte du phénotype. Par ailleurs, avec l’âge, la production des androgènes diminue chez le mâle (d’où le terme d’andropause à partir d’un certain stade), ce qui fait que la proportion des hormones femelles augmente, pouvant entraîner certains changements physiques et vice-versa aussi pour la femme aussi (un de mes professeurs disait à l’époque que les hommes attrapent des nichons de jeune fille à un certain âge et la femme une moustache plus ou moins importante dans la ménopause).

En creusant, le binarisme « homme-femme » est un artifice, même contreproductif selon les usages

Une réflexion plus approfondie peut donc avoir pour conséquence de devoir abandonner un binarisme d’usage courant (par exemple homme –femme) et de raisonner à l’avenir dans des catégories plus larges, comme cela se fait par exemple au niveau des études sur le « genre ». Ainsi, les quotas féminins sont en quelque sorte une hérésie et une barrière par rapport aux personnes qui ont une configuration autre que XX ou XY. Si on maintient les quotas féminins, il faudrait attribuer explicitement, par une définition exhaustive, chaque configuration possible des chromosomes sexuels à un des genres d’usage : homme ou femme. Par exemple la configuration XXY classerait la personne affectée dans le genre féminin (pour permettre à Lady Gaga de profiter éventuellement des quotas féminins). Donc, chaque candidat devrait avoir un certificat spécifiant son caryotype, nécessaires dans certaines situations. Bonjour les dégâts pour la protection des données personnelles.

On entrevoie que le raisonnement sur base de 2 termes opposés, bien pratique à certains égards, n’est pas la panacée dans l’appréhension du monde. Une extension du binarisme, en quelque sorte une généralisation de ce réductionnisme « binaire », est la catégorisation qui dépasse la catégorisation sur base de 2 éléments/états. La moindre des choses serait donc l’élargissement des catégories dans le raisonnement. 

Ainsi, Kant définit 12 catégories a priori permettant à l’entendement (faculté de créer des concepts) d’entrer en action. Les données de l’intuition sensible sont ordonnées à travers ces catégories. Kant estime que sa liste de ses catégories est exhaustive. Les progrès scientifiques, notamment au niveau des neurosciences (dont évidemment aussi les sciences cognitives), ne peuvent évidemment plus s’arrêter à ce niveau de catégorisation.

Mais, d’une manière générale, est-ce qu’on pourrait se passer de la catégorisation ? Est-ce qu’on peut manipuler des concepts sans les classer ? Est-ce qu’il existe des concepts épurés de classes ? Est-ce qu’il y eu d’abord le concept sans son classement dans une structure conceptuelle et seulement par la suite sa ou ses classification(s) pour des raisons précises, par exemple pour prolonger/développer et associer les concepts, créant ainsi de nouvelles configurations avec de nouvelles connaissances. ? Est-ce qu’il serait possible de raisonner séquentiellement par un long fleuve de concepts sans utiliser des classes ? Ou encore, est-ce que (la découverte de) l’opposition de deux concepts (analogie par l’approche de la thèse et de l’antithèse) mène finalement à la synthèse en créant un nouveau concept ? 

La catégorisation semble d’une telle évidence qu’on ne se pose plus ces questions. Mais est-ce que l’humanité, dans ses premiers temps, avait-elle peut-être vécu sans recourir à ce mécanisme, les besoins immédiats étant tellement prépondérants qu’il n’y avait pas de temps pour réfléchir à des niveaux intellectuels abstraits : Si on a faim et soif, ne faudrait-il pas d’abord satisfaire ces besoins avant de se retirer sous un arbre pour méditer sur un Dieu éventuel? D’ailleurs, qui dit que Dieu n’ait pas été une des premières abstractions, née de la peur de l’incompréhensible d’un monde physique hostile et que l’homme a voulu combattre cette peur en créant un être virtuel? Si l’abstraction n’existait pas aux origines de l’humanité, quelles étaient les circonstances spécifiques permettant à cette dernière de s’en passer ? On sait que les chimpanzés utilisent des outils. « Ils se servent de pierres pour casser des noix, de bouts de bois pour « pêcher » les termites dans leurs termitières, de feuilles en guise de petites cuillères pour récupérer de l'eau au fond d'arbres creux, etc. …. Par contre, les bonobos, génétiquement plus proches de l'espèce humaine que les chimpanzés et connus pour leur grande intelligence, n'utilisent pas d'outils en milieu naturel. » (http://www.scienceshumaines.com/peche-aux-termites-chez-les-chimpanzes-et-les-corbeaux_fr_4772.html ) L’usage d’outils nécessite-t-il des facultés d’abstraction ou est-ce le fruit du hasard avec un processus « trial and error » ? La même étude fait un prolongement au niveau des corbeaux : « Il y a quelques années, le chercheur Gavin R. Hunt avait provoqué la surprise en montrant que le corbeau de Nouvelle-Calédonie utilisait presque la même méthode pour attraper les vers dans les trous des arbres. L'oiseau est en effet capable de fabriquer des « cannes à pêches », formées de brindilles crochues, qu'il plonge dans le tronc de l'arbre. Il parvient ainsi à accrocher des larves d'insectes et à les ramener vers son bec. »

N'était-ce pas la preuve que, comme les chimpanzés, les corbeaux se transmettent une « culture » technique ? Or une étude publiée dans Nature vient démentir cette hypothèse. Ben Kenward, de l'université d'Oxford, a eu l'idée d'élever de jeunes corbeaux hors de leur milieu naturel. A l'âge de 3 mois, on présente au jeune oiseau une branche d'arbre comparable à celle qu'utilisent ses congénères en milieu naturel. Spontanément, l'animal va y tailler un outil en forme de crochet, comme guidé par un sûr instinct... C'est la preuve que l'oiseau n'apprend ni à pêcher les larves ni à fabriquer les outils, mais qu'il possède en lui un programme instinctif destiné à cet effet. En d'autres termes, un même comportement peut être instinctif chez une espèce et acquis chez une autre. »

Finalement, l’abstraction, c’est quoi exactement ? (Wikipédia : « En philosophie, l'abstraction désigne à la fois une opération qui consiste à isoler par la pensée une ou plusieurs qualités d'un objet concret pour en former une représentation intellectuelle, et le produit de cette opération. En psychologie, la pensée abstraite désigne l'aptitude à faire preuve d'abstraction, mais aussi à manipuler les concepts dans des raisonnements. »)

Cela ouvre la porte pour s’interroger sur les types de raisonnements : déduction, induction/généralisation, raisonnement par analogie, raisonnement par l’absurde, raisonnement critique, le syllogisme, raisonnement dialectique, le sorite, raisonnement hypothético-déductif, l’abduction,  la transduction, etc. Il y des documents qui font état de 68 différents types de raisonnement en mathématiques (https://leconscapesmaths2013.files.wordpress.com/2013/03/l68.pdf ).
L’usage du binarisme est une forme de raisonnement plutôt spécifique. En voyant les nombreux types de raisonnements possibles et identifiés, il semble évident qu’il faut bien spécifier les conditions dans lesquelles le recours au binarisme fait du sens.

Selon le sens commun et le Grand Robert, la catégorie est une classe dans laquelle on range des objets de même nature (par exemple une maison unifamiliale).

Selon le Grand Robert, « une classe peut être définie, entre autres, par un ensemble d’objets ou d’individus qui ont des caractères communs » (par exemple les maisons unifamiliales construites en pierre naturelle à un étage et un toit plat ; mais il peut y avoir d’autres maisons unifamiliales avec d’autres caractéristiques, par exemple à deux étages et construites en briques et un toit autre qu’un toit plat ; « un toit autre qu’un toit plat ? » : cette définition obscure permettrait de créer encore bien d’autres catégories de maisons unifamiliales basées chacune sur des formes spécifiques des toits). La définition primaire générale de la classe implique donc une « même nature » pouvant être composée cependant de plusieurs sortes d’éléments mais qui ne peuvent s’exclure comme c’est le cas du binarisme.

Pour que le binarisme puisse fonctionner, il faudrait en toute rigueur qu’un objet soit homogène et n’ait qu’un seul caractère ne pouvant avoir qu’un seul de 2 états différents. Le binarisme peut donc fonctionner au niveau d’une qualité qui ne peut prendre qu’un de 2 états possibles : par exemple, un objet est vivant ou non-vivant, encore qu’il devient de nos jours de plus en plus difficile de faire la frontière entre animé et inanimé : quand est-ce qu’une personne humaine est morte ? L’exemple de l’opposition « vie – mort » vaut la peine d’être analysée par une autre petite digression, même superficiellement pour étayer la relativité des binarismes.

Le constat de la mort est basé sur certains signes fondamentaux devant se manifester pendant un délai d’observation minimum d’une manière constante :


1. abolition contrôlée de la respiration spontanée
2. abolition de toute activité des nerfs crâniens
3. perte totale de l'état de conscience, à l'exception des réflexes du tronc et des membres
4. un électroencéphalogramme plat pendant trois minutes.
 


Les hommes semblent avoir eu des doutes sur la mort car ils ont créé des mécanismes pour récupérer les personnes qui semblaient mortes, sans l’être nécessairement.
Illustration du livre du Dr. Steven Laurey : Un si brillant cerveau dans l’édition Odile Jacob (à lire absolument) :






Certains prétendent que le terme de croque-mort provient de la démarche que l’homme des pompes funèbres mordaient la personne déclarée morte dans le gros orteil pour voir si elle réagit encore éventuellement. Un ami médecin m’a raconté que certains médecins piquaient avec une aiguille un doigt juste à côté de l’ongle, cette opération ne réveillant pas un mort mais ferait réagir une personne seulement soi-disant morte.
L’arrêt du système neural joue un rôle important dans cette démarche, sachant que le cerveau est aussi l’objet de processus biochimiques dont hormonaux. Le système hormonal transporte aussi des informations, mais sans l’influx nerveux, il ne pourra assumer ses fonctions. Ainsi, certains parlent du cerveau câblé et d’autres du cerveau hormonal. Mais ces « deux cerveaux » (façon de parler) sans fortement intriqués. Ainsi, la transmission de l’influx nerveux d’un neurone à l’autre relève à la fois d’un phénomène physique (au niveau de l’axone) et à la fois du système hormonal neurotransmetteur au niveau des synapses (deux neurones ne sont pas reliés comme par exemple le câblage électrique d’une maison ou les câbles doivent être en contact direct pour faire passer le courant) pour faire un des nombreux ponts entre deux neurones. Les neurones sont en effet séparés par des interstices synaptiques.

Or, l’influx nerveux est un courant électrique, relevant de la physique. Il est basé sur une différence de potentiel qui se propage le long de l’axone et fonctionne par une inversion de potentiel de l’axone en recourant au sodium et potassium pour le dépolariser en faisant entrer (à travers la membrane perméable de l’axone) le sodium dans l’axone et faire sortir le potassium dans un flux le long de l’axone (reproduction article Internet .

Schémas Internet :














Sans influx nerveux durable, pas de vie donc, même si ce mécanisme de base est purement physique (éléments de sodium et potassium pour créer une dépolarisation séquentielle, donc pas une molécule organique) et chimique (neurotransmetteurs au niveau des synapses) en utilisant comme support de la matière organique (membrane perméable de l’axone).

Revenons à la vie et à la mort. Ainsi (article Internet) : « Nous concluons donc qu'il faut remplacer "la mort" (l'acte instantané) par "le processus du mourir", ou transformation progressive avec bien des étapes successives. La mort n'existe pas en tant qu'état soudain et instantané : vivant ou mort, en un instant, on serait passé de l'un à l'autre. Ce qui existe à sa place c'est "le processus du mourir", un long et lent processus avec bien des étapes qui font que l'on est de plus en plus mort. Ceci est conforme à la définition de Bichat : la vie est "l'ensemble des fonctions qui résistent à la mort". » Il paraît que les dernières cellules d’un cadavre conservé dans un frigo d’une morgue ne meurent qu’après 42 jours.

Encore un binarisme courant de foutu qui peut avoir des conséquences bien pratiques : par exemple, quand une personne peut-elle être déclarée morte de manière certaine, chose importante en cas d’héritages importants en jeu (voir l’exemple actuel de Michael Schumacher). Il est utile à ce stade de faire encore référence au livre très intéressant du Dr. Steven Laureys : « Un si brillant cerveau : les états limite de conscience » (un merci à mon ami Nicolas qui m’avait fait cadeau de ce livre). Le texte du verso dit « ……………..Quelle est la différence entre le sommeil, le rêve, l’hypnose, l’anesthésie, le coma, la mort cérébrale et l’expérience de mort imminente ?...... ».

La reproduction ci-après d’un schéma de ce livre illustre l’état du cerveau en cas de conscience normale, de mort cérébrale et de coma :


Et coma n’est pas coma : schéma du même livre :




Il paraît que le constat de la mort cérébrale a été plus d’une fois sujet à des erreurs (on croyait constater la mort cérébrale alors qu’il n’y avait qu’un coma plus ou moins profond), avec toutes les implications morales et juridiques que cela pouvait entraîner.

En bref, la plupart des objets ont de 1 à n qualités (par exemple vivant, plusieurs stades du processus de mourir = n états, mort, aucune cellule ne fonctionnant encore). Si on raisonne au niveau d’une binarité, donc sur le plan d’une seule catégorie ne pouvant prendre qu’une de deux valeurs possibles, on oublie qu’un objet est rarement (si jamais) une instance composé d’un de seulement 2 états possibles. En général, tout objet est un tout avec ses autres/multiples qualités qui sont en interaction(s). Cette tendance rend-t-elle attentive à une hiérarchisation des catégories/classes/qualités d’un objet/élément et à une hypothèse qu’il y ait un caractère, binaire, dominant les autres caractères et les spécificités des interactions : Par exemple, le fait d’être homme ou femme (dans le style pur génétique XX ou XY, sachant que cette définition est un réductionnisme irréaliste) constitue-t-il un facteur dominant dans le fonctionnement des humains, dans le style « les hommes viennent de Mars et les femmes de Venus, sans oublier aussi par exemple la culture des talibans.

Prenons encore, pour le plaisir de réduire l’importance du binarisme, un autre exemple d’actualité. Un des grands thèmes est le chômage, notamment celui des jeunes : il y a le chômeur et le non chômeur. Mais la définition du chômeur n’a jamais connu une définition exacte faisant l’unanimité. Est-ce que la personne, prétendant chercher un emploi mais ne s’inscrivant à l’ADEM que pour recevoir des indemnités tout en refusant tous les emplois offerts, est-elle le même genre de chômeur que la personne sans travail qui cherche un emploi pour nourrir sa famille en acceptant même des travaux pour lesquels il est surqualifié. Quand un indépendant, n’ayant plus de clients pendant un certain temps, devient-il chômeur ? Un chômeur est-il nécessairement chômeur parce qu’il ne trouve pas d’emploi salarié  dans les règles de l’art? Où classer la personne touchant des indemnités de chômage tout en travaillant au noir pendant plus de 40 heures par semaine ? Est-il correct de faire état d’un taux de chômage national unique dans les discussions à ce sujet ?

D’une manière générale : Quelle est l’origine de ce genre de catégorisation réduite à 2 termes, sachant que cette dernière ne constitue qu’un cas particulier en fait très rare de l’opération de catégorisation (classement par catégories)? Dans quelle mesure ces binômes particuliers ne falsifient-ils pas les réflexions ? Pourquoi ces oppositions conceptuelles ont-elles acquis une telle importance ? Quelles sont les conséquences d’une telle dichotomie de raisonnement ?

Il est vrai qu’il y a des situations où seulement 2 états sont possibles : le courant électrique circule ou ne circule pas. Encore faudrait-il savoir, même si on croît qu’aucun courant ne passe, s’il n’y a pas quand même un tout petit-petit courant électrique qui passe malgré tout) mais qu’on ne sait pas détecter (propriétés au niveau des nanotechnologies). Ou encore, je dispose de la somme nécessaire pour faire un achat à un prix donné ou je n’en dispose pas. Mais je peux toujours me (sur)endetter pour acheter quand même cet objet si je ne détiens pas la somme nécessaire, c’est-à-dire je recours à de l’argent qui ne m’appartient pas, même s’il semble que je sois propriétaire de la somme au moment de l’achat.

L’extrémisme religieux peut en être un autre exemple. Pour une personne religieuse, il y a les croyants et les non-croyants, en sous-entendant d’une manière réductionniste que le non-croyant est celui qui croît à une autre religion que celle du croyant qui fait la catégorisation. S’ajoutent dans le contexte religieux les agnostiques et les athées qui pourraient cependant être assimilés d’une certaine manière aux non-croyants du point de vue du « vrai » croyant. Cette dichotomie peut avoir des conséquences graves si des croyants, non tolérants et rigides pour ne pas dire extrémistes, pensent disposer de moyens suffisants pour éradiquer ceux qu’ils qualifient de non-croyants.

Ce dernier cas renvoie à la réflexion que la catégorisation peut impliquer une hiérarchisation des membres d’un binôme. Ainsi, le croyant se considérait comme supérieur au non-croyant. Platon considérait déjà à l’époque le monde des idées (le Vrai, le Beau, le Bien….) supérieur au monde sensible. Pour Aristote, le savoir était dans le monde réel et sa métaphysique essayait d’unifier ces savoirs du monde sensible.

Revenons à la case départ de notre petit voyage après les pérégrinations sur le binarisme : Le binôme corps-esprit est une de ces catégorisations qui ont traversé l’histoire avec toutes ses évolutions et conséquences, positives et négatives. Si un binôme peut comprendre des éléments sensibles et/ou matériels et/ou immatériels, les discussions deviennent probablement plus difficiles si l’élément d’un binôme est purement immatériel comme par exemple un concept abstrait. Or, ce dernier cas de figure se retrouve dans le binôme corps-esprit. Le concept de l’esprit est quelque chose de nébuleux. On peut opérer un corps mais on ne peut pas opérer un esprit. Il suffit de se rappeler que les scientifiques se cassent depuis des années les dents pour connaître l’essence de la conscience. On peut en effet décrire à la rigueur des manifestations comportementales de la conscience (phénoménologie), mais on ne sait toujours pas pourquoi la manifestation de la conscience à un moment donné dans un contexte donné est telle et pas une autre.

Selon la culture, la position sociale, le moment, la formation, le vécu personnel et autres paramètres, le duo corps-esprit se manifeste différemment.

Si, au début de l’humanité, le corps dominait dans un souci de survie, de nos jours l’esprit semble être considéré comme l’apanage de la civilisation. Mais est-ce vraiment le cas ? Est-ce qu’on ne surestime pas la position de l’esprit à notre époque ? Il semble exister pas mal de situations où, à première vue, l’esprit semble dominer alors qu’en réalité le corps tire les ficelles. Un membre de l’académie française voit cette position d’un autre œil que le voleur qui tue pour 1000 €. A partir de quel moment peut-on parler d’esprit. Est-ce qu’une constellation inconsciente à un moment donnée, réagissant à certains stimuli externes (le voleur saisit une opportunité de voler, en voyant un sac à main dont le porte-feuille dépasse, sans oublier les cleptomanes), est une manifestation de l’esprit ou une conséquence d’une constellation neuronale et hormonale à un moment donné ?  Le voleur routinier peut en effet même saisir instinctivement une occasion de voler comme le conducteur de voiture qui conduit souvent instinctivement sans se rendre compte de ce qu’il fait : « Ah, je suis déjà arrivé ? Par contre, si le voleur planifie un vol dont l’exécution est compliquée, est-ce que l’esprit prend le dessus ?

Encore faut-il définir l’esprit. Si un homme fait un geste, le corps a agi, quelles que soient par ailleurs les causes de ce geste. Les causes peuvent avoir elles-mêmes des causes matérielles (une brûlure, se gratter) ou des causes non-matérielles. Le recul instinctif (le cerveau reptilien humain entre en scène) devant un « soi-disant » serpent (même si ce n’est qu’une branche ressemblant de loin à un serpent) ne peut pas être assimilé à une pure manifestation de l’esprit. Il y a une base neurobiologique (stimulus visuel transmis) à cette réaction qui fait son chemin. Le recul devant un serpent n’est pas conscient dans les tous premiers moments, mais la prise de conscience de cette situation vient après un certain moment (de l’ordre d’1/1000ième de seconde) quand l’information a fait son chemin dans le cortex. Il s’agit d’un ancien mécanisme de survie instinctif qui ne fonctionnerait pas si l’homme ne pourrait réagir qu’au moment qu’il devient conscient de la présence du serpent. Une insulte provoque normalement une réaction, probablement à la fois psychique et à la fois physique. Est-ce que ces réactions contiennent d’autres manifestations de l’esprit que la création physiologique d’émotions et de réactions instinctives (entre autres, poussée d’adrénaline avec toutes ses conséquences au niveau du corps) ?

« L'esprit est constitué par l'ensemble des facultés intellectuelles. Dans de nombreuses traditions religieuses, il s'agit d'un principe de la vie incorporelle de l'être humain. En philosophie, la notion d'esprit est au cœur des traditions dites spiritualistes. On oppose en ce sens corps et esprit (nommé plus volontiers conscience par la philosophie et âme par certaines religions). En psychologie contemporaine, le terme devient synonyme de l'ensemble des activités mentales humaines, conscientes et non-conscientes » (Wikipédia).
Le dictionnaire des philosophes de l’encyclopédie Universalis, après avoir constaté que la notion d’esprit a connu bien des fluctuations au fil de l’histoire, semble retenir actuellement que ce mot doit être compris dans un « sens suffisamment large pour pouvoir englober toutes les réactions, des plus élémentaires au plus évoluées, c’est-à-dire depuis les tropismes des êtres unicellulaires aux les réflexes des organismes pluricellulaires aux facultés mentales les plus évoluées ».

Cette définition renvoie à une prédominance des points de vue scientifiques qui prévalent largement à l’époque actuelle, mais il me semble que le sens commun du mot esprit doit être compris plutôt sur le plan des facultés mentales. Mais cette définition est intéressante car elle renvoie à la difficulté de fixer les frontières entre corps et esprit.

Dans ce sens, il semble intéressant de citer des définitions du Grand Robert concernant la notion d’esprit (constituant finalement une énumération des usages du mot « esprit » par le commun des mortels dans les différents contextes, en opposition aux spécialistes de « l’esprit » comme les philosophes, les psychologues et les neurologues par exemple) :


  • Souffle, air (sens étymologique)
  • Principe de la vie incorporelle de l’homme
  • Inspiration provenant de Dieu
  • Émanations des corps (esprits vitaux au XVIième sciècle)
  • Produit liquide volatile, produit d’une distillation (chimie)
  • Être immatériel, incorporel
  • Être imaginaire, mythique
  • Âme d’un défunt dans l’occultisme
  • La réalité pensante : le principe pensant en général, opposé à l’objet de la pensée [remarque personnelle : il me semble que l’objet de la pensée peut aussi être (ou même est) une pensée ]
  • Principe de la vie intellectuelle, opposé à la sensibilité : entendement, intellect, intelligence, raison (ce qui n’exclut pas qu’il peut y avoir un esprit stupide)
  • Qualité, aptitude intellectuelle (spirituel)
  • Etc.
Le dénominateur commun à ces définitions est le côté insaisissable, à l’exception des définitions dans le domaine de la chimie.

Wikipédia cite une autre idée intéressante : « En sciences cognitives, la Théorie de l'esprit désigne les processus cognitifs permettant à un individu d'attribuer un état mental -croyance, intention, désir, jeu, connaissance, etc.- à lui-même ou à une autre personne. Elle permet ainsi à l'individu de pouvoir prédire ses propres attitudes et actions ainsi que celles des autres agents intelligents. L'apprentissage de cette capacité passe, entre autres, par la compréhension qu'autrui possède des états mentaux différents des siens. Cette aptitude enrichit qualitativement les interactions sociales (communication, collaboration, compétition, apprentissage, etc.) et relève ainsi de la cognition sociale (voir plus loin les neurones-miroir). » Cette faculté, typiquement humaine, est aussi attribuée d’une manière restreinte, à certaines espaces animales. On pense évidemment directement aux singes anthropoïdes. Mais est-ce que la troupe d’éléphants, accompagnant un des leurs dans sa mort et en en faisant le deuil, ne possède-t-il pas aussi cette qualité mentale. Par contre le chimpanzé mâle dominant, piquant une de ses crises imprévisibles, ne prend aucun égard aux jeunes chimpanzés se trouvant sur son chemin, risquant de les tuer.

Par contre les bonobos, les chimpanzés nains et anthropoïdes les plus proches de l’homme, baisent à tout bout de champ (aussi bien les mâles et les femelles selon la situation) pour gérer les conflits sociaux.

Suite à cette panoplie des notions  « d’esprit », quel « esprit » peut-on opposer au corps ? Est-ce qu’une telle opposition garde un certain sens ?

En quelque sorte, la multitude des usages et significations du mot « esprit » déconstruit l’esprit.

Si on veut opposer corps et esprit, il faudrait d’abord se mettre d’accord sur une définition de l’esprit (réalité pensante ou facultés mentales ou aptitude intellectuelle ou raison ou conscience ou autres ?) pour qu’une telle discussion garde son sens. Mais il y a de fortes chances qu’une telle entreprise soit vouée à l’échec si on considère les vains efforts du passé dans cette démarche. Mais on ne peut se passer de créer une base de discussion, même si elle reste fragile.

Essayons, par certaines associations spontanées, de voir un peu plus clair.

Pour l’homme des cavernes (il ne s’agit pas du contexte de la caverne de Platon), le corps dominait probablement l’esprit car, comme pour l’animal, la survie dépendait d’abord de la « maintenance » permanente du corps à un certain état de fonctionnement vital. Il y avait donc d’abord le corps avant qu’il n’y ait l’esprit tel qu’on conçoit ce dernier aujourd’hui, un peu comme pour les animaux. Si on avait soif (à cette époque et toujours aujourd’hui), il fallait boire. Si on avait faim, il fallait manger. Si on avait froid, il fallait se couvrir et/ou faire du feu. Il fallait donc en premier lieu se procurer les biens nécessaires pour satisfaire ces besoins corporels primaires. À partir de quel moment l’homme se distinguait-il de l’animal dans ces activités ? À partir de quel moment s’ajoutaient des éléments/instances, se distinguant des démarches purement instinctives, qui distinguaient l’homme de l’animal ? On peut encore situer le problème autrement : à partir de quel moment l’homme n’était-il plus (purement) animal ? L’usage d’outil n’est pas un critère comme on l’a vu précédemment.

Quand la satisfaction des besoins du corps n’occupait plus pleinement les groupes humains, l’esprit a pu se développer en augmentant graduellement la faculté d’abstraction et la prise de conscience (dans quelle mesure les animaux ont-ils une capacité réflexive ?). Peut-être y avait-il une étape intermédiaire : l’homme devait développer des astuces et outils pour assurer sa survie face à un monde hostile où ses ennemis et ses proies avaient des forces supérieures. Mais quand un outil mérite-t-il ce nom. Est-ce qu’une pierre disponible par hasard et utilisée pour fracasser le crâne est un outil ? Ou faut-il avoir travaillé la matière pour créer un outil qui ne se trouve pas tel quel dans la nature ?

Par ailleurs, pour être plus outillé pour faire face à un monde hostile, les hommes se sont constitués en groupes et ont développé des règles de vie en commun, nécessitant un langage pour communiquer. Ce n’est pas pour rien que certains chercheurs des sciences du cerveau ont développé la notion de « cerveau social » (Gazzaniga), à l’origine de notre cerveau tel qu’on le connaît aujourd’hui.

Le langage, ne faisant que du sens dans un groupe, était donc une autre condition sine qua non pour cette évolution : un concept ne peut être touché comme un morceau de viande, mais doit être pensé. Dans ce sens, peut-on considérer l’esprit comme un prolongement évolutif du corps par l’intermédiaire du corps ?

Il semble hors de doute de nos jours que tout processus mental requiert des soubassements neurophysiologiques. Si, à la mort, la vie a quitté (définitivement selon les critères d’aujourd’hui) le corps, les processus mentaux et les sensations deviennent impossibles car ils ne disposent plus des supports neurophysiologiques nécessaires. Après la mort, la continuation de l’existence de l’âme des croyants, montant soi-disant au ciel ou en enfer, est par sa nature même une affaire de croyance et est loin d’être une réalité prouvée. La réincarnation est aussi une autre croyance arrangeant les gens d’une certaine manière, encore que son issue ne soit pas nécessairement aussi heureuse (quid si je suis réincarné comme grenouille et que j’aboutis sur l’assiette d’un restaurant 2 étoiles ?) que celle du chrétien ou du musulman qui ont suivi les préceptes de leur religion à la lettre ou qui ont tué des centaines de non-croyants (croisades ou martyre de l’islamiste), ce qui leur permet de monter au paradis, certains pouvant même disposer de nombreuses vierges. Il semble donc que le paradis de ces derniers soit bien surchargé en testostérone. Il faut dire que jusqu’à aujourd’hui, je ne me suis jamais posé la question si des femmes musulmanes non vierges soient montées ou puissent monter au paradis. Mais comme le martyre musulman devrait pouvoir disposer de vierges au paradis, il faut bien que des femmes musulmanes vierges soient montées au paradis. Je dois avouer que je suis assez ignare en matière de religions (comme probablement la plupart des gens) et je serais bien content qu’un iman éclairé puisse me renseigner à ce sujet.

Toute activité mentale est réduite à néant après la mort (tenant compte de la difficulté de déclarer quelqu’un comme mort) car le cerveau est devenu inopérant. Le fait que certaines personnes laissent des œuvres matérielles (art et autres), n’enlève rien au fait que ces créateurs ne peuvent plus « produire ». Est-ce qu’il ne pourrait pas être  opportun d’inverser la hiérarchie « esprit-corps » suite à ces considérations: esprit>corps devient corps > esprit ou : l’esprit suit le corps ? Ou encore, si l’esprit et le corps sont indissociables, du moins poser la relation corps ó esprit et non corps Ø esprit.

Beaucoup d’activités humaines résultent d’automatismes inconscients bien que ceux-ci aient été souvent mis en place dans le cadre de processus d’apprentissage conscients (conduite d’une voiture par exemple, ou l’apprentissage d’un morceau de piano, sachant qu’un soliste doit apprendre d’abord les automatismes techniques avant de pouvoir jouer la pièce en virtuose avec la musicalité requise). Il existe aussi des comportements conditionnés ne nécessitant pas une phase d’apprentissage consciente (ouvrir la bouche pour manger). Toutes ces activités résultent de processus cérébraux sur base de flux nerveux et hormonaux. Il n’y a pas, à ce niveau d’activité, un esprit au sens noble du terme en action comme dans une discussion par exemple. En une journée, quel est le pourcentage des activités de cette nature non intellectuelle et inconsciente ? La guerre de religion entre le déterminisme (principe de causalité : quelles est la cause première d’une chaîne ou concurrence de causes d’une action ?) et la volonté/libre arbitre n’est toujours pas tranchée. « La volonté désigne le plus souvent, la faculté d'exercer un libre choix gouverné par la raison, autrement dit la faculté qu'a la raison de déterminer une action d'après des « normes » ou des principes (par exemple, moraux). En cela, elle s'oppose à la spontanéité du désir, ou aux « instincts naturels », dont la réalisation ne fait appel à aucune délibération. La volonté est ainsi l'expression de la liberté de l'arbitre chez un sujet, par exemple entre ses désirs actuels et ses souhaits futurs. Le mot désigne aussi la manifestation de sa capacité de choisir par lui-même sans coercition particulière. » (Wikipédia). Le rêve, par nature inconscient car se réalisant pendant le sommeil, montre par excellence le chaos des processus mentaux sur base d’activités neurophysiologiques et non gérés par un esprit conscient volontaire.

Quelle est la grandeur d’une personne souffrant d’une migraine atroce ou d’un mal de dent du tonnerre ? Est-ce que cette personne va encore pouvoir produire à ce moment des pensées philosophiques époustouflantes en faisant jouer un esprit supérieur? Ne va-t-elle pas concentrer plutôt ses efforts pour vaincre ses maux physiques afin d’émerger d’un état de souffrance ?
Si on considère, dans un autre contexte, les excès d’un « Ballermann », il faut bien croire que cette domination » corps>esprit » est une réalité : on est agréablement dans les « vapes » et le seuil d’inhibition a baissé pour déconner dans un sentiment de liberté (les normes sociales et le « surmoi » de Freud ont foutu le camp).

Et que penser de l’obsession permanente des gens d’aujourd’hui qui se préoccupent à longueur de journée de leur santé par toutes sortes d’activités sportives, tout en recourant au « health apps » pour surveiller le corps à longueur de journée ? Est-ce qu’ils utilisent leur corps « plus ou moins »sain(t) pour constituer des bases physiologiques adéquates pour produire des « outputs » mentaux de qualité : mens sana in corpore sano » ou « anima sana in corpore sano ? Il faut cependant distinguer entre « mens » et  « anima ». « Anima » doit être rapprochée de la notion d’âme qui est l’archétype de la vie en soi, le principe vital et immanent. « Mens » doit être associé plutôt à l’esprit, l’intelligence, la raison. Le « Ballermann » (Mallorca feeling) avec une bonne cuite ressort donc plutôt d’un sentiment de bien-être immanent et risque d’être d’essence assez primitive avec des sensations de flottement agréable, même s’il n’est pas exclu que des gens imbibés d’alcool peuvent encore « faire de l’esprit » si leur tréfonds psychiques ont de la substance (in vino veritas). Mais cela risque d’être des exploits d’esprit non-contrôlées se basant sur des émergences mentales qui n’ont pas été imbibées entièrement par l’alcool. Rappelons que la prise de conscience n’est qu’une manifestation tardive suite à une élaboration inconsciente au niveau du cerveau. La conscience ne gère pas. La conscience fait état d’informations qui lui sont en quelque sorte ingurgitées après avoir été cuisinées dans le cerveau à un niveau d’inconscience.
Dans ce sens, est-ce que le jogger de longues distances cherche-t-il la maîtrise de la souffrance en se dépassant (peut-être une forme d’ascèse qu’on retrouve dans certaines religions) ou est-il simplement « accro » aux endorphines que son corps produit à partir d’un certain seuil de souffrance? Si à l’époque les gens imploraient les Dieux pour bénéficier d’un esprit sain dans un corps sain, ce paradigme a changé dans la mesure où il est considéré aujourd’hui que l’homme est pleinement responsable de sa santé physique et psychique.

Si on considère les dérapages sociaux [la violence pour un rien, la recherche de la domination dans le monde professionnel (« Ellenbogenmentalität »), l’impact de la mode pour montrer le corps sous un meilleur angle (« Kleider machen Leute », les adeptes du fitness et bodybuildung, le bronzage malsain sur les plages) et d’autres aspects permettant éventuellement de cacher un esprit vain], il semble que l’esprit soit bien surestimé de nos jours par une frange probablement réduite de la population. Est-ce qu’on peut considérer bon nombre de personnes sur facebook, twitter et autres réseaux sociaux comme des personnes d’esprit quand elles informent à tort et à travers qu’elles ont lavé les dents à 7 :30 ? Qu’est-ce qui pousse (niveau de l’inconscient) ces gens à faire une telle communication inintéressante sous tous les points de vue.

On sait aussi que, si l’homme est poussé dans ses retranchements, l’animal en lui ressort plus vite qu’on ne le croit : « homo homini lupus ». ainsi, ne faudrait-il pas attribuer le meurtre de la personne soi-disant aimée par l’amoureux totalement subjugué à une dépendance affective totale incontrôlée que la personne aimée rejette (par exemple dans le cas d’une jalousie maladive). On sait aussi que les stalkers peuvent aller très loin dans leurs actions. Quel « esprit » aurait commandé à de telles actions ?

Le domaine politique mérite aussi une excursion dans ce contexte de réflexion sur l’esprit. Que penser des hommes politiques qui décollent de la réalité à cause de leur besoin de puissance et qui considèrent le peuple comme des objets à manipuler dans leur effort pour se maintenir au pouvoir, même si c’est par la corruption permettant de générer accessoirement l’accumulation de richesses ? Notre Jean-Clause Juncker aurait dit à un certain moment : « Wir wissen alle was zu tun ist, aber wir wissen nicht wie wir dann wiedergewählt werden sollen. » Rarement des présidents sont sortis appauvris de leur mandat. Où sont restés les esprits sereins des politiciens (condition sine qua non pour gouverner en « bon père de famille ») comme Napoléon, Sarkozy, Bush, Putin, Erdogan et bien d’autres ? On n’est pas loin d’instincts primitifs de puissance et de domination et on ne se situe plus dans des « méta-sphères » de l’esprit. Pour être réélus, ces politiciens fournissent souvent des « Brot und Spiele » (voir par exemple la coupe du monde de football au Brésil) pour étourdir et calmer le peuple, celui-ci finançant en plus lui-même par les impôts qu’il paie (il paie ses propres étourdissements et le politicien en profite) les jeux que les politiciens décident de lui offrir. En effet, face aux actuels paradigmes sociétaux avec des problèmes insolubles dans une optique « toutes choses égales par ailleurs », on peut se poser la question sur les motivations des politiciens pour s’investir âme et corps dans des élections si ce n’est la soif de pouvoir, d’admiration, de puissance et de richesse? Est-ce que les hommes politiques restent peut-être subjugués aux gènes de survie de l’homme des cavernes (une partie du cerveau humain, qui est restée reptilien chez l'être humain, est responsable entre autres de notre instinct de conservation et correspond au tronc cérébral) et est-ce qu’ils subliment un instinct primitif pour vaincre une peur fondamentale? Ou encore, les politiciens ne veulent-ils pas tout simplement sublimer un complexe d’infériorité ou autre complexe (d’Œdipe par exemple) mal géré ?

Suite à ces approches plutôt négatives de l’esprit, il faudrait aussi essayer, par équilibre, de développer un paradigme plus positif. Si le corps peut orienter fortement l’esprit dans bon nombre de situations, en bon et ou en mauvais (ce que cela veut toujours dire), l’homme peut aussi décider de faire travailler son esprit dans le cadre de contextes qui n’ont a priori rien à voir avec son propre corps : le scientifique, l’écrivain, le philosophe, l’artiste, le joueur au sudoku ou à l’échec et autres. On ne peut nier que l’humanité a fait des progrès importants dans tous les domaines artistiques, scientifiques et technologiques, que « l’esprit » y est certainement pour quelque chose et qu’il ne peut se réduire dans ce cas à une bonne cuite hédoniste à Ibiza ou à la ferveur d’un jogger sur route, obsédé par des distances de plus en plus longues à maîtriser pour se mettre en transe par les endorphines mises en circulation. Il y en a cependant qui pensent que la création artistique, scientifique et autre, peut aussi être stimulée/motivée par des processus de sublimation (mécanisme de défense psychologique), comme le dit par exemple Michèle Emmanuelli : « Dans le processus de création, les équilibres entre pulsion de vie et pulsion de mort se manifestent de manière différente selon les créateurs, de même que diffère la fonction de la sublimation selon les individus, voire chez le même créateur selon les étapes de sa vie. La sublimation côtoie, relaie, prévient chez certains les issues désorganisantes. Annie Anargyros (2004) décrit en Giacometti un homme hanté par la mort, chez qui alternent les moments d’élan créateur et les moments d’impulsions destructrices où la compulsion à amenuiser, gommer, détruire ses toiles engage l’angoisse de se détruire soi-même. Interrogé sur ce qui sous-tend son activité, il répond : « Chaque fois que je travaille, je suis prêt à défaire sans hésiter une seconde le travail de la veille parce que, chaque jour, j’ai l’impression que je vois plus loin » (Giacometti, 1990, p. 278). Il a de l’art une vision pessimiste : « Toute œuvre d’art est enfantée totalement pour rien. Tout ce temps passé, tous ces génies, tout ce travail, finalement, sur le plan de l’absolu, c’est pour rien. Si ce n’est cette sensation immédiate, dans le présent, que l’on éprouve en tentant d’appréhender la réalité » (1990, p. 279). Et si la sublimation résultait tout simplement d’une diminution du niveau du neurotransmetteur « sérotonine » (entre autres, à côté de la dopamine par exemple), comme cela peut aussi être le cas en ce qui concerne la dépression (à côté de la dopamine et de la noradrénaline) ? Par ailleurs, la dépression saisonnière dans les pays nordiques semble être associée au manque de lumière, phénomène augmentant en hiver les transporteurs de la sérotonine, contribuant à une plus grande élimination de ce neurotransmetteur. D’ailleurs, pas mal d’artistes étaient névrosés et/ou dépressifs. Donc, même la sublimation créatrice peut être due à des causes physiologiques.

On peut faire une expérience très simple : on ferme les yeux et on imagine des choses matérielles (comme une maison, une pomme ou le conjoint). L’esprit (quelle que soit sa nature) a construit des concepts basés sur une appréhension d’objets du monde sensible. Mais, toujours en fermant les yeux, on peut penser à l’amour, à un théorème géométrique, à un système philosophique et à d’autres exemples. L’esprit peut donc générer des concepts abstraits ne résultant pas directement du monde sensible. Ceci n’exclut nullement que ces concepts abstraits peuvent avoir une origine matérielle. On pourrait s’imaginer par exemple que le théorème de Pythagore ait résulté du souci de construire deux murs à angle droit en vue de la réalisation d’une maison. Il y a des biographies d’Einstein qui prétendent que certaines de ces hypothèses scientifiques aient résulté d’observations du quotidien au sujet duquel il s’est posé certaines questions.

L’étude du fonctionnement de l’esprit connaît actuellement un développement considérable dans le cadre des sciences cognitives et des études neuro-physio-psychologiques du cerveau (comme par exemple les études sur la conscience) et aussi de la philosophie analytique et de l’esprit. Ces approches trouvent aussi des retombées dans la pratique comme par exemple les conseils en créativité et innovation dans l’économie (techniques du brainstorming et autres).

La réflexion recourt à un certain nombre de mécanismes selon les sciences cognitives : déduction, induction, transduction et autres démarches méthodologiques. Il reste commun à ce genre de mécanismes qu’ils nécessitent des prémisses qui, par régression, aboutissent quelque part à des connaissances générées par le monde sensible. Les différents éléments « concrets » peuvent être combinés sur un plan abstrait de différentes manières pour créer de nouvelles connaissances, comme par exemple le premier principe de la thermodynamique décrit par une formule mettant en relations un certain nombre de facteurs/paramètres physiques.

Sans éléments de base, la connaissance ne peut progresser. Certaines connaissances sont générées par une combinaison différente d’éléments connus. Si une partie de ces éléments n’est pas connue, la connaissance ne peut se faire. Le temps est « mûr » pour faire des découvertes si tous les éléments sont disponibles pour créer une nouvelle connaissance par la réflexion. Ce cas de figure semble assez évident dans les sciences. Mais qu’en est-il de l’écrivain qui écrit un essai. Quelle est l’origine des éléments qu’il combine et qui surgissent sous une certaine forme/structure à un moment donné. Une « tabula rasa » ne permet certainement pas de réfléchir parce que le matériau fait défaut.  Les notions de « réfléchir, réflexion » sont intéressantes en soi dans ce contexte. Selon certaines approches, un objet est reflété (renvoyé vers l’arrière) comme par un miroir. On le voit une fois de plus avec un certain recul, permettant d’approfondir par cette action la vision de l’objet, même avec le risque que l’objet soit peut-être déformé.  Le Grand Robert définit la réflexion comme « le retour de la pensée sur elle-même en vue d’examiner et d’approfondir telle ou telle donnée de la conscience spontanée, tel ou tel de ses actes spontanés ». La traduction allemande du mot réflexion est « Überlegung » et renvoie plutôt à un méta-niveau, en quelque sorte une « Vogelperspektive », créant un nouveau contexte, plus global, de survol, de compréhension/appréhension de l’instance.  On superpose sur la première activité mentale un deuxième acte mental. Mais il n’en reste pas moins que l’acte de réfléchir nécessite de la substance. Est-ce qu’on peut refléter le néant ? La réflexion peut être dangereuse parce qu’elle libère et met le pouvoir en question. Ce n’est pas pour rien que certaines religions ont écarté de leurs fidèles pendant longtemps les connaissances pour éviter que ces derniers s’emballent et quittent le troupeau.

La créativité ne peut se manifester que si on dispose de connaissances plutôt étendues. La complexité est devenue telle qu’il faut souvent des équipes pluridisciplinaires pour faire avancer le progrès scientifique. Le savant universel, pouvant sauter d’un domaine à l’autre pour trouver éventuellement des analogies heuristiques, n’existe plus. Il semble que promouvoir seulement la logique et les méthodes heuristiques tout en minimisant l’acquisition de connaissances dans l’enseignement ne peut former des jeunes à des processus de création de nouvelles connaissances. La création et l’innovation ont besoin de connaissances étendues. Par ailleurs, si on considère le processus de l’analogie, celui-ci ne peut se manifester si des connaissances n’existent pas. Comment en effet remarquer une similitude de forme entre 2 choses différentes par nature (ou par classe) si on n’a pas connaissance de ces 2 choses. Comment par exemple constater une analogie hydo-électrique si on ne connaît rien à l’eau et  à l’électricité. Ainsi, la notion de volt en électricité (différence de potentiel ou tension) peut être rendue plus compréhensive si on propose l’image de l’eau qui coule et si on associe la hauteur de chute de l’eau à la tension du courant. L’ampère est l’unité pour mesurer l’intensité du courant. L’intensité du courant peut être associée au débit de l’eau résultant par exemple dans un réseau de distribution d’eau potable du diamètre du tuyau et de la pression (10 mètres d’altitude génèrent en gros un bar de pression de l’eau). Si la pression dans un tuyau donnée augmente, la vitesse d’écoulement de l’eau augmente et le volume d’eau écoulé augmente aussi. La découverte ou l’hypothèse de similitudes dans deux domaines différents peuvent ainsi mener à de nouvelles découvertes dans un domaine donné.

La personne qui écrit un essai est en quelque sorte dans un flux de créativité qui est généré par une partie des connaissances enfouies dans son cerveau qu’il met en relation d’une « autre » manière pour créer du nouveau. Ce flux, une fois démarré, peut le mener loin au fil des associations et interrogations qui naissent. Le mécanisme neurophysiologique concret à la base de ce processus d’écriture d’un essai reste toujours obscur, mais il y a un résultat concret de ce processus sous forme de l’essai rédigé sur un support physique.

Est-ce qu’on peut considérer ce mystère du fonctionnement de la réflexion comme une émanation d’une entité qu’on nomme pour des raisons de commodités « esprit ». Une chose semble certaine : si le cerveau est mort, il n’y aura plus d’esprit et le génie créateur d’un Einstein s’est évaporé à jamais à sa mort. Encore semble-t-il qu’Einstein n’ait plus créé des percées scientifiques époustouflantes dans la deuxième moitié de sa vie.

Mais même des actions courantes quotidiennes, qualifiées de mentales, sont tributaires du corps et notamment du cerveau. L’individu apprend l’action sociale grâce aux neurones miroirs ( Gazzaniga : le libre arbitre et la science du cerveau) « qui sont impliqués dans la compréhension et le vécu de l’émotion des autres , via la réponse viscéro-motrice.  ……  Vous percevez par vos sens un stimulus émotionnel, par exemple l’expression de peur sur un visage, votre corps y répond automatiquement en stimulant l’insula (vous imiter automatiquement cette expression, ce qui fait que votre système viscéro-moteur vous envoie une dose d’adrénaline, stimulant alors l’émotion). …… Nous mimons en permanence les autres, mais cela se produit si vite que nous ne le percevons pas. Nous mimons inconsciemment les expressions faciales, les postures, les intonations, les accents et même les traits et mots du langage des autres. » Une chose m’avait frappé personnellement depuis longtemps sans que je ne l’avais mise en rapport avec les neurones-miroirs. Si vous êtes en discussion avec une personne, croisez vos bras sur votre poitrine. Il y a de fortes chances que l’autre personne croisera aussi ses bras sur sa poitrine, probablement sous réserve que ce geste soit considéré comme approprié dans le contexte. Faites une fois le test.

Le livre de Gazzaniga donne un autre exemple de cette imbrication entre le corps et l’esprit. Un certain nombre d’expériences ont permis de constater que des lésions du CPFVM (cortex préfrontal ventro-médian) avaient induit chez les patients « des défaillances dans la réponse et la régulation des émotions sans que leur intelligence, leur raisonnement logique et leurs connaissances des normes sociales et morales soient touchés. » Damasio de son côté a étendu les connaissances dans ce domaine par d’autres expériences. Citation Gazzaniga dans ce même livre  : « Damasio avait fait passer des tests de morale à des adultes dont cette aire avait été lésée au cours de leur enfance. Leur réponses étaient excessivement égocentriques, tout comme leur comportement. Ils faisaient montre d’un manque d’inhibition de soi et ne prenaient pas en compte le point de vue des autres ». La lecture du livre de Michael S. Gazzaniga risque de changer fortement vos réflexions personnelles sur l’esprit.

Et que dire de l’esprit dans la discussion sur la pertinence de phéromones au niveau de l’homme. Si l’impact des phéromones est sujet à caution pour certains, d’autres appuient fortement le rôle de ces substances. Citation du site www.canalvie.com : « Les phéromones jouent un rôle important sur le plan des relations humaines. Le choix d'un partenaire amoureux ne s'appuie donc pas seulement sur l'apparence physique ou sur les affinités sociales, sportives, voire intellectuelles. C'est aussi une question d'odeurs. Vous devez être capable de « sentir » votre vis-à-vis. Les phéromones, un mélange de substances produites par des glandes exocrines déclenchant des réactions physiologiques ou comportementales entre individus de la même espèce, jouent un rôle actif dans la sexualité des humains et de nombreux animaux. Chez le ver à soie ou le papillon de nuit, par exemple, la femelle attirera un mâle situé à des kilomètres de distance, grâce à son odeur... ». Si donc un mec succombe aux charmes d’une femme il y a de fortes chances que la raison ne doit pas être cherchée au niveau d’un esprit transcendent impressionnant et dévastateur de cette femme, mais tout simplement dans le bon nez de l’homme lui procurant des stimulants à un Casanova par le biais des phéromones. Sujet à creuser certainement.

Le même genre de discussion pourrait être mené au niveau de l’Ocytocine et son implication au niveau des manifestations de l’esprit. Wikipédia : « L'ocytocine est une hormone peptidique synthétisée par les noyaux paraventriculaire et supraoptique de l'hypothalamus et sécrétée par l'hypophyse postérieure (neurohypophyse) qui agit principalement sur les muscles lisses de l'utérus et des glandes mammaires. Son nom signifie accouchement rapide (« ocy » du grec ὠκύς, ôkus : rapide et de « tocine » τόκος : accouchement).Elle est impliquée dans la reproduction sexuée particulièrement pendant et après la naissance. Elle est libérée en grande quantité après la distension du col de l'utérus et de l'utérus pendant le travail, ce qui facilite la naissance et après stimulation des mamelons, l'allaitement. À la fois la naissance et l'éjection de lait proviennent d'un mécanisme de rétroaction maternelle positive. Des études récentes ont commencé à suggérer que l'ocytocine pourrait avoir un rôle dans différents comportements, comme l'orgasme, la reconnaissance sociale, l'empathie, l'anxiété, les comportements maternels, etc., d'où son appellation abusive d'« hormone du plaisir » ou « hormone du bonheur » par les médias reprenant les thèses réductionnistes biologisantes. Dans certaines situations, l'ocytocine pourrait aussi induire des comportements « radicaux », voire violents pour la défense du groupe, par exemple face à un tiers refusant de coopérer. Elle deviendrait alors une source d'agressivité défensive (et non offensive). Cependant, de nombreuses données sur les comportements d’animaux non-humains et les résultats des études plus récentes sur l'homme restent encore fragiles, en raison notamment des données en apparence contradictoires, des interactions à plusieurs niveaux et des obstacles méthodologiques. » D’autres recherches (Dirk Scheele) ont apparemment confirmé l’hypothèse que l’ocytocine contribue au lien d’attachement romantique de l’homme pour sa partenaire en augmentant l’attractivité que celui-ci ressent pour son visage comparé à celui des autres femmes. Un effet qui, comme chez le campagnol, s’accompagne d’une activation plus élevée du circuit de la récompense utilisant le neurotransmetteur dopamine. Cette hormone augmenterait la fidélité des hommes, sachant que la monogamie n’existe que chez 3 à 5 % des mammifères.  A ma connaissance, la monogamie n’est pas un sujet traité dans les discours philosophiques et ne semble pas entrer dans les sphères de l’esprit.

Certains invoquent le cerveau hormonal au même titre que le cerveau neuronal. Il est certain que les deux interagissent pour contribuer aux manifestations de « l’esprit » qui ne peut pas être assimilé à une pure manifestation d’une volonté consciente gouvernant l’homme.

On peut essayer trouver certaines analogies entre l’esprit et l’intelligence artificielle (IA), certains craignant que les machines vont dominer bientôt l’homme.


  •  Aussi bien l’esprit humain que l’IA ont besoin d’un substrat physique :
o   Esprit : agit sur base d’influx nerveux basés sur des inversions de potentiel au niveau des axones et des neurotransmetteurs au niveau des synapses.
o   IA : hardware informatique avec ces circuits électr(on)iques.


  • Le cerveau et l’ordinateur ont tous les deux un système d’exploitation :
o   Esprit : entre autres, réseau neuro-hormonal reliant les différents centres spécialisés du cerveau selon des structures prédéterminées.


    • Ordinateur : par exemple Windows comme méta-système de gestion, sachant qu’à un niveau inférieur il y a toujours le langage-machine qui prend en charge les 0 (le courant ne passe pas) et 1 (le courant passe). Wikipédia : « Le langage machine, ou code machine, est la suite de bits qui est interprétée par le processeur d'un ordinateur exécutant un programme informatique. C'est le langage natif d'un processeur, c'est-à-dire le seul qu'il puisse traiter. Il est composé d'instructions et de données à traiter codées en binaire. Chaque processeur possède son propre langage machine, dont un code machine qui ne peut s'exécuter que sur la machine pour laquelle il a été préparé. Si un processeur A est capable d'exécuter toutes les instructions du processeur B, on dit que A est compatible avec B. L'inverse n'est pas forcément vrai : A peut avoir des instructions supplémentaires que B ne connaît pas. » Le code machine est aujourd'hui généré automatiquement, généralement par le compilateur d'un langage de programmation ou par l'intermédiaire d'un bytecode.

Encodage binaire du mot « Wikipedia »





  • L’esprit et l’ordinateur sont programmés :
o   Le cerveau est déjà programmé en partie à la naissance et continue à évoluer par l’apprentissage/vécu personnel en créant de nouvelles connexions neuronales.
o   L’ordinateur : par toutes sortes de softwares applicatives, comme par exemple des programmes-cadre tel que Word ou Excel ou toutes sortes d’autres apps.


  •  L’esprit et l’ordinateur ont en commun :
o   Rien ne vient de rien
o   L’un et l’autre fonctionnent selon des règles/algorithmes sur le plan physique (un défaut ou dérèglement des neurotransmetteurs ne permet plus au cerveau de fonctionner correctement)



  • Il y a des différences fondamentales entre l’esprit et l’ordinateur :
o   L’ordinateur ne sait que calculer selon des règles préprogrammées : il jongle avec des 0 et 1 (le courant passe ou ne passe pas) selon des algorithmes précis.
o   Le cerveau a beaucoup de sources différentes en ce qui concerne ses inputs qui sont d’ordre internes ou externes et est organisé en une structure de centres spécialisées agencés en réseaux avec une plasticité d’adaptation en fonction de situations nouvelles. Il présente beaucoup plus d’imprévisibilité à cause des circuits neuronaux qui se font et défont à tout moment, certains se stabilisants, d’autres s’évaporant. Le cerveau est en effet obligé d’éliminer des information selon certaines règles et limites internes de stockage des informations afin de pouvoir fonctionner. Ses capacités ne sont pas infinies.
o   Au niveau de l’ordinateur, la seule imprévisibilité est le bug, c’est-à-dire une erreur de programmation. D’ailleurs, des bugs se manifestent parfois seulement quand une constellation spéciale se présente (analogie avec le cygne noir ?). Un bug peut longtemps (ou toujours) sommeiller si la constellation spécifique et rare n’est pas sollicitée par une fonction et donc ne se présente pas (voir les nombreuses mise à jour de Windows après une nouvelle version).



 D’ailleurs, l’ordinateur calcule souvent par approximation.

Ainsi, utilisez Excel pour calculer la récompense de l’inventeur des échecs selon le mythe du brahmane Sissa pour illustrer l’imprécision de l’ordinateur :


Wikipédia : « La légende la plus célèbre sur l'origine du jeu d'échecs1 raconte l'histoire du roi Belkib (Indes, 3000 ans avant notre ère) qui cherchait à tout prix à tromper son ennui. Il promit donc une récompense exceptionnelle à qui lui proposerait une distraction qui le satisferait. Lorsque le sage Sissa, fils du Brahmine Dahir, lui présenta le jeu d'échecs, le souverain, enthousiaste, demanda à Sissa ce que celui-ci souhaitait en échange de ce cadeau extraordinaire. Humblement, Sissa demanda au prince de déposer un grain de riz sur la première case, deux sur la deuxième, quatre sur la troisième, et ainsi de suite pour remplir l'échiquier en doublant la quantité de grain à chaque case. Le prince accorda immédiatement cette récompense en apparence modeste, mais son conseiller lui expliqua qu'il venait de signer la mort du royaume car les récoltes de l'année ne suffiraient à s'acquitter du prix du jeu. En effet, sur la dernière case de l'échiquier, il faudrait déposer 263 graines, soit plus de neuf milliards de milliards de grains (9 223 372 036 854 775 808 grains précisément), et y ajouter le total des grains déposés sur les cases précédentes, ce qui fait un total de 18 446 744 073 709 551 615 grains (la formule de calcul est alors 264-12) ou bien plus de 1000 fois la production mondiale de 2012 ».

Cela donne en Excel :





Ainsi, il suffit aussi de rappeler par exemple les limites de l’ordinateur au niveau de la traduction automatique, les progrès actuels résultant d’un apport immense en saisie et programmation pour simuler le langage humain qui permet toujours des surprises littéraires et autres qui sont rarement prises en compte par la traduction automatique. En effet, les progrès en traduction automatique sont devenus seulement possibles à cause des augmentations gigantesques des capacités des processeurs (tournant souvent en parallèle) et des mémoires. Un autre exemple des limites de l’informatique est le robot industriel qu’on met en cage pour que l’homme ne s’y approche pas inconsidérément au risque d’être tué, le robot ne tenant pas compte d’une présence humaine si celle-ci n’est pas enregistrée par des senseurs livrant des inputs au robot industriel.

L’ordinateur peut donner une impression d’intelligence artificielle autonome à cause des superpuissances de calcul développées, surtout sur base de processus parallèles (analogie avec les centres spécialisés du cerveau).

Mais l’ordinateur ne peut pas créer des formules (en physique ou en chimie) ex-nihilo, peut seulement manipuler des variables/symboles selon des règles précises. Je ne pense pas que l’IA aurait pu créer la formule du premier principe de la thermodynamique.

L’ IA des machines peut faire peur car elle peut être programmée par les hommes de manière à se retourner contre l’homme (voir les systèmes d’armement).
Donc l’esprit humain, même si on n’arrive pas à le définir d’une manière exhaustive et non-ambigüe, semble être supérieur à l’IA.



En résumé, l’opposition corps-esprit ne tient pas la route au gré du développement des connaissances actuelles dans les neurosciences, la physiologie et autres disciplines. Il se peut que cette conclusion vaille pour tous les binarismes actuellement véhiculés. Le recours au binarisme, dans la réflexion et l’action, est au moins sujet à caution. Il se pose même la question s’il ne faudrait pas le prohiber dans la plupart des cas, encore qu’il y ait des contextes où cela ne semble pas possible, comme par exemple si on utilise les nombres entiers pairs et impairs. Si on creuse, beaucoup de binarismes risquent de se déconstruire. Et cela fait du sens et est même fortement souhaitable si on considère certains binarismes avec leurs conséquences sociétales : croyant – non croyant, homme – femme, homme–animal, autochtone – étranger  et autres.

La dualité corps-esprit n’est qu’un exemple parmi d’autres, rendant attentif aux implications des discours recourant au mécanisme général du binarisme, avec toutes ses conséquences, souvent négatives.








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